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mercredi 15 septembre 2010

Fabrique de l'opinion

Aujourd'hui, papa est colère.
C'est un billet de mon voisin d'en face qui m'a fait réagir. A propos d'un sondage paru hier dans le Parisien, " révélant" la montée de Villepin. 
Pas sur le fond de son analyse (intéressante, à propos des chances et talents des différents candidats potentiels de droite), mais sur le sondage lui même et sur l'exploitation qui en est faite par le quotidien.

Alors donc "Villepin crée la surprise", les chevaux sont en marche, la route est droite vers l'Elysée tralalère pouet pouet ?
Bon, déjà, souhaitons lui meilleur sort que n'en connurent Ségolène Royal (2007), Lionel Jospin (2002) et Edouard Balladur (1955), tous candidats qui ont brillamment remporté les sondages pré-électoraux.


Mais enfin, "Villepin et Sarkozy au coude à coude", en voilà une surprise ! Et une bonne raison de se plonger un peu dans le détail du sondage (qui est visible intégralement ici). Et de vérifier qu'effectivement, à la question posée ("Parmi les personnalités suivantes, laquelle préféreriez-vous voir représenter la droite à l'élection présidentielle de 2012 ?"), Laurel et Hardy jouent à touche pipi : 15% pour tous les deux (et 13% pour Fillon, mais lui, visiblement, le Parisien s'en moque un peu)... sur l'ensemble des Français interrogés.

"Sur l'ensemble des français interrogés". Oh, ça n'a l'air de rien, mais ça apporte quand même une sacrée nuance. Parce que si on regarde les résultats par affinité politique, on constate que les sympathisants de droite, eux, se moquent de Villepin comme de leur première niche fiscale : 11% pour Villepin, 39% pour Sarkozy. Et à l'inverse, les sympathisants de gauche ne sont que 5% à préférer Sarkozy contre 20% pour Villepin.


A priori, on se dit que le chiffre intéressant (pour peu qu'un sondage à 18 mois des élections puisse l'être), c'est ce 11% vs 39%, plutôt que le match nul à 15% : si un candidat de droite veut être élu, il vaut mieux que le gros de ses électeurs potentiels soit de son camp, non ? (quitte à picorer à gauche pour faire une majorité si besoin)


Cette question, c'est un peu comme demander à Ronald Pognon si, au départ d'un 100m, il préfère courir contre Usain Bolt (9'58) ou rivaliser avec mon beau-père (22'10 les jours de forme). Je serai Ronald, je miserai plutôt sur le beau-père, histoire de ramener une breloque dorée.
Là, pareil, on demande aux gauchistes de choisir entre la peste et le choléra. Eh bien ils optent pour le moins dangereux, a priori. Logique. Même que moi, je préférerais que la droite nous mette Xavier Bertrand en face. Ou Patrick Sébastien. Ou Casimir. Ou Benjamin Lancar (non, quand même restons sérieux).
Tout, mais pas Sarkozy !  Cette andouille serait capable de nous battre, dites donc !
D'ailleurs, ils sont 45%, parmi les sympathisants de gauche à ne pas avoir souhaité répondre à cette question. On se bagarre déjà suffisamment, à gauche, pour choisir notre future candidat... on va pas en plus s'étriper pour sélectionner celui de la droite, si ?


Il faut rendre justice à l'Institut CSA : les résultats de l'enquête sont clairement présentés, in extenso. Deux solutions, donc :
1. les journalistes du Parisien ont des problèmes de lecture. Un tableau avec plusieurs colonnes, c'est compliqué, prenons la première, ça ira bien. Auquel cas je leur déconseille de faire la même chose avec leurs feuilles de paie.
2. les journalistes du Parisien seraient prêts à titrer n'importe quoi qui leur permettrait de vendre deux à trois tonnes de papier imprimé en plus.
Bref, comme disait l'immense Desproges à propos de Séguéla, "ou bien c'est un con et ça m'étonnerait tout de même un peu ; ou ce n'en est pas un, et ça m'étonnerait quand même beaucoup."

Il va de soi que la 2e hypothèse, en plus du fait qu'elle n'étonnerait pas grand monde, poserait la question de l'intérêt politique pour le Parisien se sortir aujourd'hui Villepin du placard.

Je ne reviens pas sur les biais que tous les sondages trimballent avec eux, le sujet n'est pas neuf et d'autres l'ont déjà très bien fait ici ou : choix de la méthode, réponses induites, échantillon suspect, commanditaire trop pressant... 

Mais le pire de ces biais est presque "extérieur" aux sondages, et tient plus à l'emballement médiatique : c'est celui qui consiste à amplifier la puissance d'un candidat, de sondage en sondage, simplement parce que les précédents l'annonçaient puissant et que ça doit être vrai, puisque c'est écrit dans le journal.
J'ai trop souvenir, en 2006, quand mes camarades militants votaient d'une seule main pour choisir la candidate du PS aux présidentielles, avec le plus souvent comme seul argument des sondages baclés et inutiles ("mais enfin, tu vois bien qu'elle va gagner contre Sarko !!!")... pour ne pas râler quand la machine à fabriquer de l'opinion continue à fonctionner à plein, vers l'horizon 2012.


A aujourd'hui, le seul sondage dont je sois sûr, c'est celui là : 100% des Chiffonrouge ne voteront pas Sarkozy en 2012.

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